Objectif Voigtlander & Sohn de 1843

L'invention officielle de la photographie date de 1839 lorsque François Arago présenta le procédé de Louis Daguerre à l'Académie des Sciences, le principe ayant été mis au point par Nicéphore Niepce quelques années auparavant.

Belle trouvaille !

Cet objectif que j'ai retrouvé dans la collection de mon père, de la marque "Voitgländer & Sohn in Wien", porte le numéro de série de 790, il est daté de 1843 d'après Antique & Classic Cameras, soit à peine 4 ans après l'intervention de François Arago.

Objectif Voigtlander & Son in Wien de 1843
Le marquage de cet objectif ancien est splendide, une calligraphie du plus bel effet.
Objectif Voigtlander & Son in Wien de 1843

L'objectif de Petzval

La marque Voigtlander existe déjà depuis 1756 et se lance alors dans la fabrication d'objectifs photographiques. Les formules optiques de l'époque sont très simples et de qualité médiocre. C'est un certain Joseph Petzval, un ingénieur, qui va calculer mathématiquement la conception d'un objectif corrigeant les aberrations sphériques et de coma. Le travail dura six mois, avec l'aide de l'armée qui prêta deux officiers et huit artilleurs pour réaliser ces calculs ! Ce type d'objectif va perdurer avec des améliorations jusqu'à la fin du XIX eme siècle, jusqu'à l'arrivée des objectifs corrigeant l'astigmatisme, comme l'Anastigmat de Zeiss en 1890.

Cet objectif est un "Petzval", le meilleur de l'époque, constitué de deux groupes de lentilles et d'un diaphragme fixe. Il se démonte facilement.

Objectif Voigtlander & Son in Wien de 1843

C'est une belle antiquité, un témoin des tous débuts de la photographie, une époque ou l'on faisait des daguerréotypes sur des plaques argentées, principalement des portraits de petites tailles. 

Portrait de Louis Daguerre, origine Wikipedia 

Caractéristiques

La longueur focale se calcule de la façon suivante:
F = D / (2.tan(𝛼 /2))
   F la focale recherchée
   D diagonale du capteur
   𝛼 l'angle de champ de l'objectif 

L'angle du champ se calcule par un essai photographique, un objet de dimension connu dc, à une distance connue Dc, l'objet doit occuper toute la diagonale, un mètre ruban par exemple.

Sachant que tan 𝛼 = dc/DC, on a  𝛼 = Arctan(dc/Dc)  j'ai trouvé approximativement 11° avec mon X-T30, soit une focale de 146 mm.

Le diamètre de la lentille faisant 40 mm, cela donne une ouverture N = F/d de f3,6, soit un objectif relativement lumineux, permettant de diminuer sensiblement la durée de pose, f3,6 étant l'ouverture prévue par les calculs de Petzval !

Les objectifs de cette époque disposent d'un réglage de distance sous forme d'une crémaillère qui fait glisser l'objectif dans le tube support. On peut ainsi régler la distance de 2 mètres à l'infini.

Plus tard avec l'apparition des chambres photographiques, ce réglage propre à l'objectif disparaîtra, simplifiant du coup leur construction.

Objectif Voigtlander & Son in Wien de 1843

D'origine cet objectif était utilisé pour le portrait, à pleine ouverture afin de réduire la durée de pose et de profiter de l'effet de flou autour du sujet, donnant une grande douceur aux portraits.

L'objectif possède un diaphragme fixe, une simple plaque à l'intérieur, elle est légèrement rouillée et mal centrée, c'est un rajout ultérieur permettant une correction de l'astigmatisme et une meilleure profondeur de champ, pour une utilisation en photographie de paysage.

Matériels et chimies

Les appareils photographiques de l'époque sont simples, une boite noire, l'objectif, et la plaque sensible. L'obturateur n'existe pas encore, c'est le bouchon d'objectif que l'on retire, puis que l'on referme à la fin de la pose après des dizaines de secondes sans bouger ! Les photographies sur le vif n'existent pas.

Les chimies pour les plaques photosensibles étaient complexes et utilisaient des produits dangereux, comme le mercure pour le développement. Il n'existait pas encore de plaques prêtes à l'emploi dans le commerce, tout l'art du photographe était dans la maîtrise de réalisation de ses plaques argentées, ou papiers salés, ou collodions humides ... l'appareil et l'objectif étaient secondaires, d'ailleurs les livres de photographie de l'époque ne parle que de chimie ... Notez ci dessous la durée d'exposition "3 à 10 minutes suffisent" ...

Extrait du livre "Physique élémentaire avec ses principales applications" de 1851:


Les appareils de l'époque sont des chambres à tiroir. Celle ci était en vente chez Antiq-Photo.


Histoire familiale

1843, une bonne génération plus tard, la Photographie a fait des progrès, en témoigne cette photographie d'un apprenti pharmacien, vers 1890, faite par mon arrière grand-père dans l'officine familiale, une photographie réalisée probablement avec un objectif similaire, mais ici avec un négatif sur plaque de verre au format 13x18, que l'on nommait à l'époque 1/2 plaque,  photographie d'une excellente qualité, et qui a traversé les années sans problème. 
Photographie pharmacien vers 1890
Celle-ci est en fait un peu sur-exposée, ce qui n'a pas altéré outre mesure la qualité, la photographie est juste un peu "dure". On imagine la difficulté pour le photographe de mesurer de façon empirique la durée d'exposition, le posemètre n'existait pas.

Pour l'anecdote, j'ai retrouvé un contrat d'achat de mon arrière grand père, il acheta à un photographe en partance pour le Congo tout son matériel photographique, en 1887 pour 600 francs pour 2 ans avec option d'achat de 200 francs. Cet objectif vient-il de là ? Ces photographies anciennes ont elles été faites avec cet objectif ? 

J'ai vérifié le cercle image de cet objectif qui est de 13 cm ... et donc le format couvert est du 9x12, soit 1/4 de plaque, ce n'est pas celui-ci qui a servi pour les photographies familiales comme l'image ci-dessus.

Test de l'objectif

N'ayant pas de chambre, le mieux sera de monter cet objectif sur le soufflet macro de mon Pentacon six.

Le plus dur fut de trouver une monture mâle sur laquelle je pourrais fixer le Voigtlander. Par chance j'ai trouvé des bagues rallonges de macro-photographie pour le Pentacon six, dont une petite, de longueur 22mm, avec la monture adéquate.  
Test objectif Voigtlander Petzval de 1843
Trois petites pattes en aluminium permettent de fixer l'anneau à la monture, et voici mon objectif Voigtlander compatible Pentacon.
Test objectif Voigtlander Petzval de 1843
... et miracle, la longueur rajoutée correspond exactement pour une mise au point à toutes les distances !! Pas besoin de soufflet pour simuler une chambre photographique. 

En attendant de tester cet objectif avec le Pentacon six ou une chambre, ce sera beaucoup plus facile de le faire avec mon Fuji X-T30, mais la surface couverte par le capteur sera bien plus faible que ne le permet l'objectif.
Test objectif Voigtlander Petzval de 1843
L'adaptation d'objectifs de monture Pentacon au Fuji est possible grâce à la bague adéquate que l'on trouve pour 30 à 40€ sur le web marchand.

Le champ couvert par un objectif est donné par la formule savante  𝛼 = 2.Arctan(d/(2.f))
avec d la diagonale du capteur et f la focale de l'objectif (146 mm).
Le Arctan est l'inverse de la tangente et nommé sur les calculatrices tan-1(exposant -1).

Cet objectif donne un champ de 54° en 9x12, 32° en 6x6, et 11° en APS-C. 
Le test ne sera pas optimum et ne permettra pas de voir le rendu réel de l'objectif.

Photographies

L'objectif est toujours équipé de son diaphragme additionnel.
Après quelques légères retouches avec Lightroom:


Un extrait à 100% de la photo précédente permet d'apprécier le piqué au centre de l'objectif,


Sans le diaphragme, à pleine ouverture, jpeg sans retouches, mode Provia/Standard sur le Fuji:
Recherche d'effets, lampadaires un soir de pluie ...
Je suis plutôt impressionné par la qualité d'un objectif aussi ancien, certes je n'ai utilisé ici que le centre, mais tout de même ... cet objectif a du être une révolution à l'époque ! 

Objectifs Petzval d'aujourd'hui

La marque Lomography a créé des objectifs de type Petzval, modernisés avec un vrai diaphragme, un contrôle de distance par bague rotative, avec la possibilité de jouer sur la forme du bokek par addition d'accessoires, d'une longueur focale adaptée aux formats APS-C et 24x36 ... une belle initiative !

Documentations

Livre Daguerréotype et Histoire abrégé de la photographie de 1847
Collection photographique de Scott, une chambre à tiroir
Comment calculer la focale d'un objectif
Présentation d'un livre sur les objectifs français au XIX siècle 

Commentaires

  1. Bonjour. Pouvez-vous me dire à quoi sert la molète sur l'objectif? J'ai fait l'acquisition d'une chambre de voyage Alibert Paris de 1890 avec cette molette sur l'objectif et la mienne ne tourne pas? Peut-être grippée? Merci pour la réponse. Cordialement. JeanR

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    1. Bonjour, merci pour le message. En fait cette molette sert à faire la mise au point. Elle permet juste de faire avancer ou reculer l'objectif dans son logement pour une mise au point fine sur le sujet. A l'origine, les chambres étaient des chambres à tiroir dont l'ajustement étaient rustique, il fallait cette molette pour plus de finesse. Mais plus tard, les chambres se sont améliorées avec l'arrivée des soufflets et des réglages fins dans tous les sens, les objectifs ont alors perdus ce réglage. À priori votre chambre de 1890 est "moderne" et doit posséder tous les réglages nécessaires permettant de se passer de la molette, par contre l'objectif est plus ancien ... si vous avez sa marque et son numéro de série, on devrait pouvoir retrouver sa date de fabrication. Cordialement, Jack

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